Merveille des rencontres,
fleurs et fruits de l’existence!
fleurs et fruits de l’existence!
Écrire
sur Sulivan?
Risque
de faire du mental, de discuter de cela
que l’on doit respirer et manifester. Mais aussi envie de partager cet
itinéraire spirituel qu’il nous propose d’entreprendre, cette envie de se
mettre en marche, que l’on expérimente en traversant son écriture. Marche vers
on ne sait pas où, chemin ensemble, un parcours vers le centre, peut-être.
Est-il
possible un itinéraire spirituel sans partage?
1. Errance
Il
faut porter en soi de larges espaces,
devenir passant, étranger... (96)
L’écriture
de Sulivan est une forte invitation à partir, à émigrer.
Une
invitation tendre et catégorique à abandonner ses refuges, ses certitudes, même
sa foi, si elle est devenue un alibi pour s’imposer, pour se juger meilleur des
autres, pour donner des réponses à toute question sans se donner la peine de
rechercher, de faire sa besogne, de se retrouver incompris dans le désert.
Le
courage de parcourir son propre itinéraire, pas un autre, pas celui que
d’autres ont tracé pour nous. Marcher tout seul, pour arracher ses masques,
pour retrouver son propre visage, pour écouter sa voix intérieure et parler en
humilité et simplicité sa propre parole.
L’écriture
deviendra alors du sang pour celui qui veut se mettre en écoute, nourriture
capable d’alimenter cet itinéraire de recherche.
Pas de
conseils, pas de leçons, pas de recettes, mais une force, une envie
irresistible d’abandonner son tombeau, d’expérimenter sa liberté souveraine en
faisant de ses propres blessures des «points d’insertion pour des ailes»
(JE, 58).
Voler
en haut pour vivre les pieds sur terre, présent à chaque instant. Ce sera alors
l’instant-éternité.
2. La
forêt blanche des idées
La
vérité morte est pire que l’erreur. (233)
On
peut dire la vérité, mais si elle n’est qu’une vérité logique, si elle ne
traverse pas le corps, il s’agit d’une vérité morte, incapable de donner la
vie, de faire vivre.
«Tout
message est mort qui ne germe pas dans une conscience.» (49)
La
verité c’est comme l’amour: elle doit être un feu vivant et dans le partage
elle s’enrichit, devient lumineuse, fait franchir le seuil, dépasser toute
frontière.
Se
perdre dans un savoir, s’échanger des mots répétés, nécrosés, des slogans, ça
peut arriver à quiconque et à tout instant et le risque c’est d’en perdre
conscience.
L’écriture
de Sulivan est une véritable thérapie anti-imposture. Elle arrache des rites,
des conformismes, des idéologies, des pensées et des mots-actions sclérosés.
Elle nous invite à sortir «de la forêt blanche des idées» (15) pour nous
conduire dans la forêt noire où, en abandonnant toute forme de peur, tout
devient possible… on réapprendre à tout goûter… chaque fraise rose-rouge…
(JE, 30). Dans l’obscurité on voit les étoiles, au fond de la nuit on
attend l’aurore.
Le
trop de clarté se révèle trop souvent un danger pour une profonde et
authentique compréhension des choses. La pensée idéologique nourrit la raison,
le mental, mais arrache toute créativité. Il ne faut pas craindre l’inconnu si
l’on veut gouter la merveille des véritables rencontres, «fleurs et
fruits de l’existence.» (JE, 30)
3.
Désert
J’avais
renoncé à tout enracinement. (32)
Une
clarté absolue peut devenir une véritable prison tandis que «du fond de la
nuit naîtra peut-être l’humble joie». (PLI, 34)
Lire
Sulivan c’est choisir de traverser le désert, sans aucune peur, se laisser
déraciner.
Ce
n’est que dans le désert, que l’on peut changer son regard et réapprendre
l’intime adhésion à soi-même mais aussi aux autres, à ce qui est. Se voir dans
sa nudité absolue, sans illusions, et entendre la voix qui nous parle au
dedans, la voix silencieuse et terrible, la voix-souffle qui nous invite à “être
joyeusement présent à l’instant» (98). Regarder tout et tous dans la
nouveauté originaire de ce qui vient d’être créé. «Il s’agit d’un regard nu,
direct qui perce les apparences, voit la pauvreté dans la richesse, la
faiblesse dans la puissance» (108). Le regard capable d’élargir l’horizon,
d’aller au-delà, tooujours et encore au-delà, de vivre de véritables
rencontres.
«Il
faut être patient, s’éloigner, perdre pour retrouver, l’heure vient par
surprise, on passe au-delà des apparences… Comment avoir pu regarder si souvent
sans rien voir?» (PPA, 67) Face à un regard avide, prêt à prendre, à
posséder, on peut décider de devenir capable de contemplation, de stupeur,
capable de respirer la vie, de goûter l’inconnu toujours à dévoiler. «à chacun de décider» (99)
C’est
presque impossible lire, écouter, assimiler l’écriture-parole sauvage de
Sulivan «sans se faire étranger.» (337)
«Qu’importe!
Ce qui compte vient toujours après une traversée. La traversée de la
désillusion et de la déception, c’est-à-dire quand on cesse d’être conduit par
son industrie.» (TI, 130)
4. Au
bord de l’aube
Chaque
matin j’écris au bord de l’aube.
(175)
Lire
Sulivan c’est faire confiance à l’aube.
«Savez-vous
qu’il y a des aubes? Avez-vous jamais vu la lumière d’aube dans une forêt, l’aube
sur la mer? Vous êtes seuls, vous pouvez revenir à l’essentiel, vous interroger
sur les buts de votre vie. C’est le premier matin du monde. Il y a une parole
pour vous qui vous parle au-dedans» (BN, 13)
Oui,
il faut croire que tout soit toujours possible pour recommencer chaque jour à
vivre sa propre existence, pas en cadavre ambulant mais présent à soi-même, aux
autres, au monde. Croire et espérer.
Les
couleurs et les parfums de chaque aube, le silence infini du matin et la parole
inconnue de ce silence, toujours à écouter, toujours à partager. Le dynamisme
de tout ce qui vit et cette sorte d’immobilité qui règne souveraine. Oui, il
est nécessaire de s’arrêter sur le bord de l’aube pour décider de commencer ou
de poursuivre un itinéraire spirituel authentique. Au bord de cela, tout
à découvrir, tout à vivre. S’arrêter pour partir.
Assieds-toi
au bord de l’aube, quelque chose va commencer! Des couleurs que tu n’as jamais
aperçus, des murmures légers jamais entendus et le silence éternel et la parole
immortelle. Ce don parfumé est pour chacun, à accueillir, à partager.
Oui,
c’est vrai, tout est confusion et violence, cirque et imposture, mais... il
y a l'aube! Et l’on commence à “être”.
5. Sur
les traces de Dieu
Un
choix est à faire entre
la
parole-poème-action et l’idéologie. (43)
Si
nous devrons «répondre de toute parole vaine» (231), à la fin du temps
de quelle façon répondrons-nous de la Parole? «Les paroles exigent d’être
accomplies sinon elles deviennent légendes destinés à la consolation, dérisoires.»
(34)
Voilà
le but: accomplir toute parole, et d’une manière unique la Parole, car le
“Verbe s’est fait chair”…
Au
contraire il semble qu’aujourd’hui l’humanité marche en sens inverse. Au lieu
de faire vivre en soi la Parole, on la dessèche en tirant de la Bible des idées
abstraites. Le message-souffle du Christ devient un système de vérités bien
enchainées mais la voix du Galiléen cesse de parler à l’homme car
l’homme n’a plus d’intériorité. Pas de rencontre.
Tout
croyant doit courir le risque de s’interroger sur sa foi, de quitter
définitivement le monde des savoirs et des illusions, de se tirer hors du
cirque des rites et des langages anonymes, hors du théâtre des certitudes et
habitudes, des apparences. Éliminer tout obstacle, pour un face à face avec
la vie, avec la mort. «La foi si vous l’avez comme un objet mental, si vous
êtes crispés dessus, inquiets, malades, perdez-la, perdez-vous, alors la foi
peut-être, par grâce, pourra vous trouver, vous perdre». (70)
L’écriture
sulivanienne est une voix du dedans qui nous pousse à l’écoute d’une parole
intérieure. Elle nous invite à abandonner la foi-savoir, pour une foi-expérience-parole
(222). C’est une voix qui invite à l’éveil. Se réveiller, renaître, vivre
en profondeur. Avec un esprit nouveau, revenir à l’Evangile qui a «quelque
chose d’essentiel à dire à ce monde.» (271)
«Jésus-Christ,
mort et ressuscité, nous propose non une philosophie, mais un salut.» (BN,
178)
6.
Un voile se déchire
La seule voie est la création hic
et nunc
d’une relation nouvelle à autrui. (274)
d’une relation nouvelle à autrui. (274)
Revenir
à l’Evangile, écouter dans le silence la Parole de Jésus c’est aller au
delà, marcher vers l’inconnu toujours rêvé, espéré. Un voile se déchire et
un nouvel horizon s’élargit. C’est une fenêtre qui s’ouvre sur un monde
nouveau.
Etablir
des relations profondes, une façon différente de se rapporter aux autres, aux
choses, à soi-même, voilà l’unique révolution capable de transformer du dedans,
de rejoindre le cœur du réel.
«Il
est nécessaire qu’un nombre de plus en plus grand d’hommes et de femmes prenne
conscience de la servitude invisible, de l’esprit de servitude qui règne.»
(PP, 83)
Dans
l’illusion d’une liberté sans limites, on risque de se retrouver prisonnier des
images, des discours, des idéologies, des mots, même de sa foi, de l’amour.
Nécessité de déchirer le voile pour respirer en plein air, pour dire sa propre
parole, pour danser joyeusement sa propre vie.
C’est
le mystérieux et éblouissant passage du dehors au dedans.
«C’est
une ardeur qui se communique dans le regard, un ton, des actes.» (EA,
94) Une façon nouvelle d’être.
Et
tout itinéraire qui soit authentique c’est une marche incessante. Exi. La
besogne faite, il faut repartir pour un nouveau désert, il faut encore et
toujours ouvrir une nouvelle fenêtre, déchirer un autre voile, avec au coeur «l’envie
de naitre une fois encore» (JE, 281).
7.
Joie errante
Tout se joue à une telle profondeur[…]
Pour
Sulivan le style est sa propre façon d’être. De lui on peut dire qu’il a vécu
le style de l’errance. Il est un passant. Un passant qui dit sa parole, qui vit
sa joie, une joie errante. Un passant qui partage son expérience par
l’écriture.
«Dans
la tranchée des nuits» (JE, 7) fatigue, épuisement,
sécheresse et abandon mais à un certain moment quelque chose «fait signe»
jusqu’à l’émergence de cela, de ce «presque rien qui change le sens
de tout.» (JE, 24)
Chaque
artiste, chaque écrivain, selon Sulivan, «tente de retrouver l’impact
originel des choses en passant au-delà du texte mort pour rejoindre les gestes
vivants» (296). Et ça c’est vrai pour chaque homme: pour être
soi-même, pour être vivant il faut aller au-delà des apparences, des illusions,
du texte mort, de tout ce qui fait de la vie une expérience de fiction,
une représentation cadavérique, illusoire.
La
joie commence au moment où l’on décide d’abandonner toute peur et toute
certitude, de franchir le seuil, de se laisser conduire «au désert, à
l’humilité biologique.» (JE, 23)
Mais
«vienne le temps heureux! Etre présent à chaque geste de la vie, à chaque
visage, à toute parole.» (JE, 24)
Et
dans l’absence de tout, la présence, cette expérience unique d’y être,
d’être. De l’Être.
«Vis
aujourd’hui, sauve ta joie ici, maintenant.» (111)
Parcourir
son propre itinéraire ce sera alors expérimenter sa propre importance et sa
propre inimportance, s’absenter de tout et de tous. C’est alors qu’«un homme
devient libre, insolent et amical, il crée, invente son passé même et chante de
sa propre voix l’alléluia torrentiel de la vie surabondante à travers bonheur
et malheur. Certes il reçoit des coups, l’homme délivré, mais il connaît aux
grand fonds les eaux de la Sérénité. (E, 183)
* * *
n.b. Les numéros entre parenthèses sans abréviation
renvoient à Itinéraire spirituel. Abréviations
employées: BN (Bloc-notes); E
(Car, je t’aime, ô éternité!); EA (L’écart
et l’alliance); JE (Joie errante); PLI (Petite littérature
individuelle); PP (Parole du passant); PPA (Le plus petit abîme);
TI (La traversée des illusions).
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