17 febbraio 2014

Itinéraire spirituel - quelques notes (avec un vidéo de Sul)



Merveille des rencontres,
fleurs et fruits de l’existence!

Écrire sur Sulivan?
Risque de faire du mental, de discuter de cela que l’on doit respirer et manifester. Mais aussi envie de partager cet itinéraire spirituel qu’il nous propose d’entreprendre, cette envie de se mettre en marche, que l’on expérimente en traversant son écriture. Marche vers on ne sait pas où, chemin ensemble, un parcours vers le centre, peut-être.
Est-il possible un itinéraire spirituel sans partage?



 
1. Errance

Il faut porter en soi de larges espaces,
                        devenir passant, étranger... (96)


L’écriture de Sulivan est une forte invitation à partir, à émigrer.
Une invitation tendre et catégorique à abandonner ses refuges, ses certitudes, même sa foi, si elle est devenue un alibi pour s’imposer, pour se juger meilleur des autres, pour donner des réponses à toute question sans se donner la peine de rechercher, de faire sa besogne, de se retrouver incompris dans le désert.
Le courage de parcourir son propre itinéraire, pas un autre, pas celui que d’autres ont tracé pour nous. Marcher tout seul, pour arracher ses masques, pour retrouver son propre visage, pour écouter sa voix intérieure et parler en humilité et simplicité sa propre parole.
L’écriture deviendra alors du sang pour celui qui veut se mettre en écoute, nourriture capable d’alimenter cet itinéraire de recherche.
Pas de conseils, pas de leçons, pas de recettes, mais une force, une envie irresistible d’abandonner son tombeau, d’expérimenter sa liberté souveraine en faisant de ses propres blessures des «points d’insertion pour des ailes» (JE, 58).
Voler en haut pour vivre les pieds sur terre, présent à chaque instant. Ce sera alors l’instant-éternité.

 

2. La forêt blanche des idées

La vérité morte est pire que l’erreur. (233)

On peut dire la vérité, mais si elle n’est qu’une vérité logique, si elle ne traverse pas le corps, il s’agit d’une vérité morte, incapable de donner la vie, de faire vivre.
«Tout message est mort qui ne germe pas dans une conscience.» (49)
La verité c’est comme l’amour: elle doit être un feu vivant et dans le partage elle s’enrichit, devient lumineuse, fait franchir le seuil, dépasser toute frontière.
Se perdre dans un savoir, s’échanger des mots répétés, nécrosés, des slogans, ça peut arriver à quiconque et à tout instant et le risque c’est d’en perdre conscience.
L’écriture de Sulivan est une véritable thérapie anti-imposture. Elle arrache des rites, des conformismes, des idéologies, des pensées et des mots-actions sclérosés. Elle nous invite à sortir «de la forêt blanche des idées» (15) pour nous conduire dans la forêt noire où, en abandonnant toute forme de peur, tout devient possible… on réapprendre à tout goûter… chaque fraise rose-rouge… (JE, 30). Dans l’obscurité on voit les étoiles, au fond de la nuit on attend l’aurore.
Le trop de clarté se révèle trop souvent un danger pour une profonde et authentique compréhension des choses. La pensée idéologique nourrit la raison, le mental, mais arrache toute créativité. Il ne faut pas craindre l’inconnu si l’on veut gouter la merveille des véritables rencontres, «fleurs et fruits de l’existence.» (JE, 30)


 
3. Désert
J’avais renoncé à tout enracinement. (32)

Une clarté absolue peut devenir une véritable prison tandis que «du fond de la nuit naîtra peut-être l’humble joie». (PLI, 34)
Lire Sulivan c’est choisir de traverser le désert, sans aucune peur, se laisser déraciner.
Ce n’est que dans le désert, que l’on peut changer son regard et réapprendre l’intime adhésion à soi-même mais aussi aux autres, à ce qui est. Se voir dans sa nudité absolue, sans illusions, et entendre la voix qui nous parle au dedans, la voix silencieuse et terrible, la voix-souffle qui nous invite à “être joyeusement présent à l’instant» (98). Regarder tout et tous dans la nouveauté originaire de ce qui vient d’être créé. «Il s’agit d’un regard nu, direct qui perce les apparences, voit la pauvreté dans la richesse, la faiblesse dans la puissance» (108). Le regard capable d’élargir l’horizon, d’aller au-delà, tooujours et encore au-delà, de vivre de véritables rencontres.
«Il faut être patient, s’éloigner, perdre pour retrouver, l’heure vient par surprise, on passe au-delà des apparences… Comment avoir pu regarder si souvent sans rien voir?» (PPA, 67) Face à un regard avide, prêt à prendre, à posséder, on peut décider de devenir capable de contemplation, de stupeur, capable de respirer la vie, de goûter l’inconnu toujours à dévoiler. «à chacun de décider» (99)
C’est presque impossible lire, écouter, assimiler l’écriture-parole sauvage de Sulivan «sans se faire étranger.» (337)
«Qu’importe! Ce qui compte vient toujours après une traversée. La traversée de la désillusion et de la déception, c’est-à-dire quand on cesse d’être conduit par son industrie.» (TI, 130)

 
4. Au bord de l’aube

Chaque matin j’écris au bord de l’aube. (175)

Lire Sulivan c’est faire confiance à l’aube.
«Savez-vous qu’il y a des aubes? Avez-vous jamais vu la lumière d’aube dans une forêt, l’aube sur la mer? Vous êtes seuls, vous pouvez revenir à l’essentiel, vous interroger sur les buts de votre vie. C’est le premier matin du monde. Il y a une parole pour vous qui vous parle au-dedans» (BN, 13)
Oui, il faut croire que tout soit toujours possible pour recommencer chaque jour à vivre sa propre existence, pas en cadavre ambulant mais présent à soi-même, aux autres, au monde. Croire et espérer.
Les couleurs et les parfums de chaque aube, le silence infini du matin et la parole inconnue de ce silence, toujours à écouter, toujours à partager. Le dynamisme de tout ce qui vit et cette sorte d’immobilité qui règne souveraine. Oui, il est nécessaire de s’arrêter sur le bord de l’aube pour décider de commencer ou de poursuivre un itinéraire spirituel authentique. Au bord de cela, tout à découvrir, tout à vivre. S’arrêter pour partir.
Assieds-toi au bord de l’aube, quelque chose va commencer! Des couleurs que tu n’as jamais aperçus, des murmures légers jamais entendus et le silence éternel et la parole immortelle. Ce don parfumé est pour chacun, à accueillir, à partager.
Oui, c’est vrai, tout est confusion et violence, cirque et imposture, mais... il y a l'aube! Et l’on commence à “être”.


5. Sur les traces de Dieu
Un choix est à faire entre
la parole-poème-action et l’idéologie. (43)

Si nous devrons «répondre de toute parole vaine» (231), à la fin du temps de quelle façon répondrons-nous de la Parole? «Les paroles exigent d’être accomplies sinon elles deviennent légendes destinés à la consolation, dérisoires.» (34)
Voilà le but: accomplir toute parole, et d’une manière unique la Parole, car le “Verbe s’est fait chair”…
Au contraire il semble qu’aujourd’hui l’humanité marche en sens inverse. Au lieu de faire vivre en soi la Parole, on la dessèche en tirant de la Bible des idées abstraites. Le message-souffle du Christ devient un système de vérités bien enchainées mais la voix du Galiléen cesse de parler à l’homme car l’homme n’a plus d’intériorité. Pas de rencontre.
Tout croyant doit courir le risque de s’interroger sur sa foi, de quitter définitivement le monde des savoirs et des illusions, de se tirer hors du cirque des rites et des langages anonymes, hors du théâtre des certitudes et habitudes, des apparences. Éliminer tout obstacle, pour un face à face avec la vie, avec la mort. «La foi si vous l’avez comme un objet mental, si vous êtes crispés dessus, inquiets, malades, perdez-la, perdez-vous, alors la foi peut-être, par grâce, pourra vous trouver, vous perdre». (70)
L’écriture sulivanienne est une voix du dedans qui nous pousse à l’écoute d’une parole intérieure. Elle nous invite à abandonner la foi-savoir, pour une foi-expérience-parole (222). C’est une voix qui invite à l’éveil. Se réveiller, renaître, vivre en profondeur. Avec un esprit nouveau, revenir à l’Evangile qui a «quelque chose d’essentiel à dire à ce monde.» (271)
«Jésus-Christ, mort et ressuscité, nous propose non une philosophie, mais un salut.» (BN, 178)


 6. Un voile se déchire
  La seule voie est la création hic et nunc
d’une relation nouvelle à autrui.
(274)

Revenir à l’Evangile, écouter dans le silence la Parole de Jésus c’est aller au delà, marcher vers l’inconnu toujours rêvé, espéré. Un voile se déchire et un nouvel horizon s’élargit. C’est une fenêtre qui s’ouvre sur un monde nouveau.
Etablir des relations profondes, une façon différente de se rapporter aux autres, aux choses, à soi-même, voilà l’unique révolution capable de transformer du dedans, de rejoindre le cœur du réel.
«Il est nécessaire qu’un nombre de plus en plus grand d’hommes et de femmes prenne conscience de la servitude invisible, de l’esprit de servitude qui règne.» (PP, 83)
Dans l’illusion d’une liberté sans limites, on risque de se retrouver prisonnier des images, des discours, des idéologies, des mots, même de sa foi, de l’amour. Nécessité de déchirer le voile pour respirer en plein air, pour dire sa propre parole, pour danser joyeusement sa propre vie.
C’est le mystérieux et éblouissant passage du dehors au dedans.
«C’est une ardeur qui se communique dans le regard, un ton, des actes.» (EA, 94) Une façon nouvelle d’être.
Et tout itinéraire qui soit authentique c’est une marche incessante. Exi. La besogne faite, il faut repartir pour un nouveau désert, il faut encore et toujours ouvrir une nouvelle fenêtre, déchirer un autre voile, avec au coeur «l’envie de naitre une fois encore» (JE, 281).

 
7. Joie errante
Tout se joue à une telle profondeur[…]

Pour Sulivan le style est sa propre façon d’être. De lui on peut dire qu’il a vécu le style de l’errance. Il est un passant. Un passant qui dit sa parole, qui vit sa joie, une joie errante. Un passant qui partage son expérience par l’écriture.
«Dans la tranchée des nuits» (JE, 7) fatigue, épuisement, sécheresse et abandon mais à un certain moment quelque chose «fait signe» jusqu’à l’émergence de cela, de ce «presque rien qui change le sens de tout.» (JE, 24)
Chaque artiste, chaque écrivain, selon Sulivan, «tente de retrouver l’impact originel des choses en passant au-delà du texte mort pour rejoindre les gestes vivants» (296). Et ça c’est vrai pour chaque homme: pour être soi-même, pour être vivant il faut aller au-delà des apparences, des illusions, du texte mort, de tout ce qui fait de la vie une expérience de fiction, une représentation cadavérique, illusoire.
La joie commence au moment où l’on décide d’abandonner toute peur et toute certitude, de franchir le seuil, de se laisser conduire «au désert, à l’humilité biologique.» (JE, 23)
Mais «vienne le temps heureux! Etre présent à chaque geste de la vie, à chaque visage, à toute parole.» (JE, 24)
Et dans l’absence de tout, la présence, cette expérience unique d’y être, d’être. De l’Être.
«Vis aujourd’hui, sauve ta joie ici, maintenant.» (111)
Parcourir son propre itinéraire ce sera alors expérimenter sa propre importance et sa propre inimportance, s’absenter de tout et de tous. C’est alors qu’«un homme devient libre, insolent et amical, il crée, invente son passé même et chante de sa propre voix l’alléluia torrentiel de la vie surabondante à travers bonheur et malheur. Certes il reçoit des coups, l’homme délivré, mais il connaît aux grand fonds les eaux de la Sérénité. (E, 183) 




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n.b. Les numéros entre parenthèses sans abréviation renvoient à Itinéraire spirituel. Abréviations employées: BN (Bloc-notes); E (Car, je t’aime, ô éternité!); EA (L’écart et l’alliance); JE (Joie errante); PLI (Petite littérature individuelle); PP (Parole du passant); PPA (Le plus petit abîme); TI (La traversée des illusions).


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